Le questionnaire médical

Pourquoi un bilan de santé ou un questionnaire médical ?

Afin de prendre en charge efficacement et en toute sécurité son patient, le chirurgien-dentiste doit connaitre son état de santé. L’anamnèse, littéralement « le récit des antécédents » que constitue le questionnaire médical ou bilan de Santé est-elle une obligation légale et déontologique ?

Le questionnaire médical est une pièce maitresse du dossier médical car il va permettre d’évaluer l’état de santé de votre patient avant les soins.
Sur le plan légal, le contenu du dossier médical n’est légalement défini, dans l’article R.1112-2 du Code de la Santé Publique, que pour les établissements de soins publics ou privés. En pratique libérale, le contenu du dossier médical est déterminé par un arrêté du 5 mars 2004 qui homologue les recommandations qui avaient été émises par l’Agence Nationale d’Accréditation et d’évaluation en Santé (ANAES), en février 2004, sur le dossier patient. On peut aussi se référer aux recommandations de l’ HAS sur l’Accès aux informations concernant la santé d’une personne publiées en décembre 2005. Enfin, sur le plan déontologique, la tenue d’une fiche d’observation personnelle est une obligation déontologique selon l’article R.4127-45 du Code de la Santé Publique.

En pratique, le questionnaire médical ou bilan de santé doit reprendre l’histoire médicale actualisée et les facteurs de santé (antécédents et pathologies chroniques, allergies, facteurs de risque, évènements biographiques significatifs), il peut être complété par l’histoire dentaire : antécédents de soins, hygiène bucco-dentaire et bilan fluoré, habitudes…

Cette anamnèse permet au chirurgien-dentiste de mettre en évidence l’existence de risques médicaux réels ou potentiels chez son patient :

  • risque infectieux (immunodépression primitive ou secondaire, risque d’endocardite infectieuse, risque d’ostéonécrose, cas particulier des patients porteurs d’une prothèse articulaire)
  • risque hémorragique (par perturbation de l’hémostase primaire (traitements antiplaquettaires, thrombopénies, thrombopathies, maladie de Willebrand) et/ou de la coagulation (traitements anticoagulants [AVK, héparines, nouveaux anticoagulants…], insuffisance hépatique, leucémies, hémophilies, autres déficits congénitaux en facteurs de coagulation.
  • risque anesthésique : l’anesthésie buccale peut présenter un risque en rapport avec la molécule utilisée, l’utilisation de vasoconstricteurs ou la technique anesthésique employée.
  • risque médicamenteux : les prescriptions faites par le chirurgien-dentiste peuvent représenter des risques d’interactions médicamenteuses, d’interactions avec une maladie générale ou de toxicité par un défaut de métabolisme ou d’élimination du médicament.
  • autres risques :
    • risques physiologiques : les trois principaux risques physiologiques auxquels le chirurgien-dentiste peut être confronté sont la grossesse, l’allaitement et la personne âgée
    • risque de décompensation aigue d’une affection chronique : un patient atteint d’une pathologie chronique peut, sous l’effet du stress ou de la douleur, déclencher un accident aigu.
    • allergies : le patient peut être allergique à des produits utilisés par le chirurgien-dentiste : latex, métaux, monomères de résines etc…
      Attention concernant le latex, il peut y avoir des allergies croisées entre le latex et certains aliments d’origine végétale comme la banane, l’ avocat, le kiwi, la châtaigne, le sarrasin et le poivron.

Si au cours de cette phase d’évaluation initiale, le praticien identifie un ou plusieurs risques médicaux potentiels, il doit les évaluer en s’appuyant sur :

  • la prescription et l’interprétation d’examens biologiques
  • la prise de contact avec le médecin traitant
  • d’autres éléments particuliers : état buccal, hygiène, autonomie, observance du patient…

A l’issue, le praticien aura tous les éléments nécessaires pour déterminer quels sont les risques médicaux avérés de son patient et si celui-ci peut être traité dans son cabinet ou s’il nécessite une prise en charge dans une structure spécialisée.

Le questionnaire médical en pratique

Quand le faire remplir ?

À la première visite au cabinet, il est indispensable avant toute prise en charge même en urgence que l’anamnèse médicale et dentaire soit réalisée en utilisant de préférence un questionnaire médical écrit, daté et signé par le patient , un parent ou un représentant légal (patient sous tutelle, mineur).

Le questionnaire médical rempli par le patient vous sert de base à l’entretien médical qui a lieu lors de la première consultation. Il est donc recommandé de reprendre le contenu de ce questionnaire oralement avec le patient ou son parent ou son représentant légal. Ce moment de colloque singulier vous permettra de vous assurer de la bonne compréhension des questions par le patient, de répondre à ses interrogations, de lui poser des questions complémentaires si besoin. C’est en effet lors de cette étape que peuvent être évitées de nombreuses complications per et post-opératoires en adaptant la thérapeutique en fonction des antécédents et des pathologies propres à chaque patient.

Deux possibilités pour la remise du questionnaire médical au patient :

  • Lors de la prise du rendez-vous, la personne qui y est déléguée (assistante dentaire, assistante administrative…) pourra proposer l’envoi par email du questionnaire médical. Le patient est alors libre d’accepter ou de refuser.
  • 1) Si acceptation par le patient de l’envoi du questionnaire par email : celui-ci prendra soin de le remplir et de le retourner au cabinet de façon sécurisée sur une adresse dédiée à la réception des questionnaires médicaux, les réponses seront revues par le praticien lors de la première consultation et seulement après relecture, le questionnaire médical sera signé au cabinet par le patient, son parent ou représentant légal. Deux possibilités pour la signature :
    • signature manuscrite après impression et scanne du document à intégrer dans le dossier médical ;
    • ou, si le cabinet est équipé d’une tablette, signature numérisée du questionnaire médical.
  • 2) Si refus par le patient de l’envoi du questionnaire médical, ce dernier lui est remis à l’accueil du cabinet dès son arrivée après création de son dossier médical administratif ou remise à jour du dossier médical.
    Le patient le remplit en salle d’attente, les réponses seront revues par le praticien et seulement après sa relecture, le questionnaire médical sera signé au cabinet par le patient, son parent ou représentant légal.
    Après signature du questionnaire par le patient, le document est scanné et intégré au dossier médical.

L’état général du patient pouvant changer rapidement, il est recommandé d’interroger régulièrement le patient sur son état de santé afin de connaitre un changement éventuel de son état de santé général. Le questionnaire médical doit donc être actualisé régulièrement tous les ans et/ou après une période d’interruption de soins par le patient.

Le contenu

Si le patient prend un traitement pour une maladie chronique, il est conseillé de conserver une copie de ses ordonnances, de façon générale, demander la copie de l’ordonnance au-delà de trois prescriptions, la scanner et l’intégrer au dossier médical.
A cet effet, une case "ordonnance à fournir au prochain RDV" ou "ordonnance scannée" est mentionnée sur le questionnaire.

Ne pas oublier de noter l’absence ou l’existence d’antécédents médicaux dans le dossier médical en y reportant dans un cadre dédié l’ensemble des informations portant sur les pathologies, allergies, traitements médicamenteux ou tout autre renseignement particulier.

Un questionnaire rempli à la main, daté et signé par le patient est préférable. En cas d’expertise, aucune discussion ne pourra être soulevée par le patient quant à l’existence ou non d’un interrogatoire médical préalablement aux soins effectués.

Le cadre "apprendre à mieux vous connaitre sur le plan bucco-dentaire" rédigé en terme compréhensible pour le patient et non en terme clinique, peut être ajouté au questionnaire médical général et rempli par le patient avant la première consultation OU peut être rempli avec le patient lors de la première consultation. Dans les deux cas, il sera daté, signé par le patient puis scanné et intégré au dossier médical. La seule finalité de ce cadre est de connaitre le passé dentaire du patient et ses attentes formulées avec les termes du patient. Ce cadre constitue sur le plan médico-légal un des éléments fixant son état antérieur à vos soins et consignant ses doléances, ce qui est important dans les plans de traitement globaux prothétiques et dans les plans de traitement à visée esthétique (facettes, éclaircissement…) car il n’est pas rare qu’en fin de traitement le patient conteste la validité de l’ indication du traitement oubliant qu’il en était initialement demandeur. Ce cadre ne doit en rien constituer et/ou se substituer à la fiche clinique dentaire avec bilan dentaire, parodontal, articulaire (…)

La durée de conservation

Tout comme les autres pièces du dossier médical, la durée de conservation des dossiers médicaux est celle de la prescription de l’action en responsabilité de la victime. Jusqu’ à la loi du 4 mars 2002, cette durée était de 30 ans, et même de 30 ans à compter la date de la majorité, pour les mineurs. Elle a été abaissée à 10 ans à compter de la consolidation du dommage, par cette loi (article 1142-28 du Code de la Santé Publique). La date de consolidation est définie comme étant "le moment où les lésions se fixent et prennent un caractère permanent tel qu’un traitement n’est plus nécessaire, si ce n’est pour éviter une aggravation et qu’il est possible d’apprécier un certain degré d’incapacité permanente réalisant un préjudice définitif". En termes plus simples : c’est le moment où les lésions se stabilisent sans évolution positive ou négative. Le Conseil de l’Ordre recommande, par prudence, de conserver les archives pendant une durée minimum de 20 ans.

Que se passe-t-il pour le praticien si un risque survenait pendant ou après les soins ou suite à une prescription, en l’absence d’établissement ou de mise à jour d’un questionnaire médical ?

Un arrêt de la Cour de cassation, chambre criminelle du 05/04/2016, relate le décès d’une patiente des suites d’une réaction allergique majeure, dite anaphylactique, survenue après la prise d’un antibiotique en 2006. Le docteur X avait ainsi prescrit cet antibiotique à sa patiente, alors que celle-ci avait déjà présenté, en 2005, une sévère réaction allergique à un antibiotique de la même famille que celui prescrit en 2006, alors que de surcroit la mention d’un tel antécédent allergique n’était pas consignée dans le dossier médical de l’intéressé. La responsabilité de ce dernier a été retenue.
Dans le cas contraire, si le patient n’informe pas le professionnel de santé d’un problème de santé ou de la prise d’un médicament alors que le praticien a pris soins de remettre un bilan de santé et d’en vérifier le contenu lors du colloque singulier, si un risque médical allergique, hémorragique, infectieux, anesthésique ou médicamenteux survenait, la responsabilité du praticien ne pourrait être retenue.

Dans le respect du serment d’Hippocrate qui réclame de ne pas infliger au patient une souffrance morale ou physique inutile : "Primum non nocere", le questionnaire médical demeure une étape obligatoire et incontournable de vos premier rendez-vous. Donc tous à vos questionnaires !

Ce qu’il faut retenir

La tenue d’un questionnaire médical est une obligation légale et déontologique. Il doit être rempli, daté et signé par le patient, parent ou titulaire légal et remis au praticien lors de la première consultation. Grace au colloque singulier praticien / patient, le questionnaire médical, base de l’entretien, est vérifié et approfondi. L’état de santé du patient est ainsi évalué.

Il doit être remis à jour régulièrement.

Il peut être décisif quant au choix du traitement. Il va permettre au professionnel de santé de prendre les précautions nécessaires en pré-per et post opératoires en fonction du type de risque, de la nature de l’acte à réaliser (actes non invasifs, actes invasifs), de la durée de l’acte à réaliser, de l’état buccal et de l’hygiène bucco-dentaire du patient, des éventuelles addictions (tabac, alcool…), de son âge, des examens biologiques et ainsi éviter la survenue de complications per et post-opératoires.

Références bibliographiques

Risques médicaux – Guide de prise en charge par le chirurgien-dentiste, Florian LAURENT, Association Dentaire Française, 2013, mise à jour 2016, 135p.
Recommandations de bonnes pratiques en odonto-stomatologie, P. SIMONET, P.MISSIKA, P.POMMAREDE, Editions Espace ID, 2015, 416p.

À propos de l’auteure

Béatrice AKNINE
Docteur en Chirurgie-dentaire
Lauréate de l’Académie Nationale de chirurgie-dentaire
Expert près la Cour d’Appel de Paris
Diplôme Universitaire d’Expertise en médecine-dentaire, Université Paris VII
Diplôme Universitaire en criminalistique option techniques d’identification en odontologie médico-légale, Université Paris V
Diplôme Universitaire en management de l’assurance qualité en odontologie, Université Bordeaux II
Diplôme Inter-Universitaire clinique des traitements odonto-stomatologiques du syndrome d’apnées obstructives du sommeil, Universités Paris VII-Paris VI-Angers